ABSENCE D’OBLIGATION POUR LE JUGE D’ORDONNER D’OFFICE L’AUDITION DE L’ENFANT
Cass, 1ère civ. 9 février 2022, n°20-15.912
Dans un arrêt récent, la première chambre civile de la Cour de cassation se refuse à imposer aux magistrats l’audition de l’enfant lorsque celle-ci ne leur a pas été demandée par l’intéressé. Ainsi, en l’absence de démarche en ce sens de l’enfant, la tenue d’une audition est entièrement conditionnée par l’appréciation souveraine des juges.
Les faits sont les suivants : un jugement du 29 août 2017 a prononcé le divorce deux époux. La cour d’appel de Colmar a fixé la résidence de leurs deux enfants chez leur père et a statué sur le droit de visite et d’hébergement de la mère.
Celle-ci se pourvoit en cassation et fait notamment valoir que :
« Lorsqu’il se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, le juge prend notamment en considération les sentiments exprimés par l'enfant mineur dans les conditions prévues à l'article 388-1 du code civil ».
Elle affirme également qu’en tout état de cause, dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet ; que le juge doit s'assurer que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat.
Ainsi, selon elle, en statuant telle qu’elle l’a fait, sans qu'il ne ressorte de la décision de la Cour d’appel qu'elle ait pris en considération ou même tenté de recueillir les sentiments exprimés par les enfants mineurs et que le juge se soit assuré que les deux enfants aient été informés de leur droit à être entendus, la cour d'appel aurait violé l'article 373-2-11 du code civil ainsi que l'article 12 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant.
La réponse de la Cour de cassation est nette : elle estime que c'est par une appréciation souveraine de l'intérêt de l'enfant que les juges du fond, qui n'étaient pas tenus de procéder à une audition des enfants qui ne leur était pas demandée, ont décidé de fixer leur résidence habituelle chez leur père et de limiter le droit de visite et d'hébergement de leur mère.
Par cette position, la Cour de cassation conditionne l’audition de l’enfant qui n’aurait pas été décidée spontanément par le juge, à la demande de ces derniers et rappelle que le juge n’est pas tenu par une obligation de procéder à une telle audition.
Les juges ont ainsi procédé à une application stricte des dispositions de l’article 388-1 al. 2 du Code civil selon lequel l’audition de l’enfant est de droit lorsque celui-ci en fait la demande de sorte que si aucune demande n’a été faite au magistrat, celui-ci n’a aucune obligation d’y procéder.
L’article 12.2 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant énonce en substance qu’il sera donné à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire. A cet égard, le comité des droits de l’enfant des Nations Unies dans son analyse littérale de l’article 12, rappelle la
portée de l’obligation pour les Etats d’assurer le droit de l’enfant d’être entendu. Celle-ci se traduit par un objectif de « sollicitation » de l’opinion de l’enfant sur toute question le concernant et pour prendre dûment cette opinion en considération (Comité des droits de l’enfant des Nations Unies - Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, 23 février 2016).
Cette sollicitation de l’enfant, rappelée par la Comité, doit permettre à l’enfant de voir son droit d’être entendu respecté, sans qu’une quelconque démarche de sa part ne lui incombe.
Selon le droit européen, c’est donc au juge d’entreprendre cette démarche de sorte que le droit d’être entendu de l’enfant ne se retrouve pas conditionné par sa propre demande.
En soumettant l’audition de l’enfant dans le cadre d’une procédure judiciaire à sa propre demande et en l’absence de laquelle le juge n’est tenu par aucune obligation d’y procéder, la décision de la Cour de cassation apparaît contraire à la lettre du droit européen.
Historique
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